L'importance du contexte dans un cadre de scouting : le cas Immanuel Quickley
Il y a 2 ans
Pour devenir un scout aguerri (professionnel ou pas), il faut passer maître dans l'art de se tromper. Chaque année on regarde des centaines de joueurs à propos desquels ont doit se faire une idée, basée sur une poignée de matchs. La marge d'erreur est énorme parce que les facteurs observables ne sont qu'une partie du tableau. Si les performances sportives laissent à désirer, c'est peut-être à cause des capacités techniques et athlétiques du joueur... ou pas. Parfois ce n'est pas de sa faute du tout. Après chaque draft, plusieurs joueurs se révèlent comme étant simplement incompris. Souvent parce qu'ils évoluent dans un contexte plus favorables à leurs talents. Auourd'hui, on fait l'autopsie d'une sélection de premier tour qui avait surpris tout le monde en 2020, mais qui s'est taillé une place dans la deuxième équipe all-rookie NBA: Immanuel Quickley.
Pourquoi les Knicks ont-ils jeté leur dévolu sur lui au 25e rang alors qu'il était classé au deuxième tour? Pourquoi était-ils classé au deuxième tour alors qu'il était clairement l'un des dix ou douze meilleurs joueurs de sa draft? C'est ce qu'on va voir.
Qui est Immanuel Quickley?
Immanuel Quickley est un combo guard de 22 ans pour les Knicks de New York. Il fait 1m90 (6'3) et 85kg (190 lbs). L'an dernier, il tournait à 11.4 ppm, 40% au tir, 39% à trois points et un ronflant 89% sur la ligne des lancers francs. Il est déjà de niveau élite en catch-and-shoot, avancé en sortie de drible et un créateur secondaire en devenir. Il est vu comme le troisième guard d'office à New York, après Kemba Walker et Derrick Rose. Il peut jouer avec eux comme il peut jouer sans et il est assez long et polyvalent défensivement pour palier à leurs lacunes.
Pourquoi alors un joueur aussi valable a-t-il glissé au 25 échelon de la draft 2020? Contexte. Contexte. Contexte. Regardons voir ce que ça veut dire au juste.
Le contexte d'Immanuel Quickley à Kentucky
Quickley a passé deux ans à Kentucky, sous la gouverne de l'inénarrable John Calipari et sa dévastatrice attaque que j'ai fièrement surnommé la toilette bouchée. Classé 25e de sa classe de Freshmen par ESPN.com, il a été recruté à John Carroll School. Si vous ne connaissez pas ce petit programme, c'est normal. Immanuel Quickley est le seul joueur NBA à en avoir gradué. Pour les férus de Summer League, sachez également qu'il s'agit de la prépa d'Elijah Mitrou-Long, le frère du guerrier de juillet Naz Mitrou-Long qui a disputé 15 matchs avec Utah, 5 avec Indiana et qui a porté les couleurs d'un peu tout le monde à Vegas. Le jeune Mitrou-Long a fait quatre ans de collège avant de se barrer pour l'Europe.
Quickley est donc arrivé comme porteur de ballon de carrière dans un contexte beaucoup plus hostile qu'au lycée. L'équipe était bourrée de jeunes joueurs capables de prendre soin du ballon dans des circonstances plus difficiles que lui : Ashton Hagans, Keldon Johnson, Tyler Herro et même P.J Washington montrait déjà de belles qualités de passeur au poste bas. Incapable de créer pour les autres et peu efficace au cercle, Quickley a été cloué au banc lors de sa première saison. Il n'a disputé que 18.5 minutes par match comme arrière aux côtés du robotique Hagans qui télégraphie son jeu offensif au point ou Calipari aurait juste pu remettre son cartable à l'équipe adversaire. Pendant une saison complète, Immanuel Quickley s'est vu retirer son identité de joueur, plus ou moins abandonné au périmètre pour des options plus sûres (Washington, Richards, Herro) et à essayé de se rendre utile sans trop savoir quand il allait être mis à contribution offensivement.
Il a fini la saison avec un maigre 5.2 ppm, 37% au tir et 34.5% à trois points. Il a réussi 0.9 tirs à trois points sur une moyenne de 2.3 tentatives par match et la plupart de ses tirs sont venus lorsqu'il était laissé complètement libre.
Alors dans ce contexte on a:
- Une confusion par rapport au rôle et ses responsabilités
- Un quasi-abandon du coaching staff en situation de match
- Une redondance stylistique avec Tyler Herro
- Des circonstances hostiles à la confiance, donc à la réussite d'actions difficiles.
Aparté éditorial
Une année comme ça, c'est souvent fatal à la carrière d'un jeune joueur. N'importe qui d'autre ayant vécu le 2018-19 d'Immanuel Quickley aurait a) accepté son sort et disparu dans la rotation b) tragiquement déclaré pour la draft ou c) transféré dans un autre programme. Ce ne sont pas toutes les histoires qui finissent mal. On se rappellera la renaissance de Charles Matthews à Michigan. Sortir plus fort d'un contexte hostile à la réussite, ce n'est cependant pas la norme. Ça prend une personnalité, une intelligence émotionelle et une éthique de travail hautement au-dessus de la moyenne.
Le contexte Kentucky 2: l'arrivée du siphon
Immanuel Quickley a fait le choix difficile et contrintuitif: il est demeuré à Kentucky pour son année sophomore et s'est battu pour sa place. Deux changements cruciaux à l'alignement transformeront sa trajectoire de carrière. Le départ de Tyler Herro pour Miami et l'arrivée d'un troisième meneur, le chouchou d'Envergure Tyrese Maxey. Avec un meilleur QI basket qu'Ashton Hagans, son arrivée diversifie l'attaque de John Calipari et met de l'avant des alignements à trois gardes. Quickley passe alors à l'aile à temps plein et devient un hybride 2-3.
C'est là ou tout le monde s'est gouré. Visuellement parlant, l'année 2019-20 d'Immanuel Quickley jure avec ce qu'on voit sur la feuille de stats. Il est grimpé à 16.1 ppm, 43% à trois points (en doublant presque son volume), un magnifique 92% aux lancers francs. Sauf que... en prenant la place de Tyler Herro au périmètre, beaucoup de ses paniers vinrent directement d'une passe, non gardé. Il a développé à l'époque une chimie absolument renversante avec Maxey sur les jeux de typer hammer. Le principe même de ce jeu est d'obtenir un tir non gardé en coin. Pendant les dernières six semaines de l'année, Quickley a shooté à 48% à trois points.
À l'époque, j'y ai vu un joueur aux postes 2-3 trop petit, pas assez polyvalent, taillé pour le succès collégial ou le niveau athlétique est beacoup moins haut. Je voyais en lui un Anthony Morrow miniature et je n'ai pas peur de l'admettre. Je n'étais pas le seul non plus. Je voyais l'amélioration statistique de Quickley comme étant largement le travail du monstre à deux tête Hagans/Maxey.
Le contexte d'Immanuel Quickley à New York (ou le génie de Tom Thibodeau)
Les Knicks ont drafté Immanuel Quickley 25e au total pour deux raisons: ils avaient besoin de shooting et le nouvel entraîneur adjoint Kenny Payne le connaissait bien. C'est là que les circonstances et la nuance professorale de Saint Thomas de Thibodeau ont joué en sa faveur. Seul avec le très médiocre Elfrid Payton à la mène en début d'année, Quickley s'est vu confier la gonfle en sortie de banc. Il s'est passé alors deux choses qui ne s'expliquent pas directement sur une feuille de stats. 1) la taille des défenseurs sur Quickley s'est vue réduite. 2) ses talents de shooteur à trois points sont devenus cruciaux en situation de match. Quand Julius Randle drive dans une prise à deux au panier, il doit être en mesure de trouver une option fiable au périmètre et Immanuel Quickley s'est montré plus que mature à ce propos. L'an dernier, il a shooté à 39,5% sur 303 tentatives (dont plusieurs en sortie de drible). C'est 4.7 par matchs.
Qu'est-ce qui s'est passé? Est-il devenu un joueur différent? Oui et non. En se déplacant vers les postes 2-3 à son année sophomore, Immanuel Quickley s'est familiarisé avec un nouveau niveau athlètique en surcompensant. Soir après soir, il a affronté des joueurs plus grands, plus gros et souvent plus explosifs que lui. Il a trouvé des solutions lui permettant de contribuer à l'attaque. Il a aussi fait une transition psychologique entre le rôle de catalyseur et celui de contributeur. Quickley crédite d'ailleurs sa mère (et première coach) Nitrease pour l'avoir aidé à adapter son état d'esprit. On salue Madame Quickley au passage. Pendant son année sophomore, il a pris sa présence a Kentucky comme un laboratoire de préparation à la NBA. Il s'est servi de John Calipari comme ce dernier se sert de tant de jeunes joueurs. À la draft, il était prêt. Il avait quelque chose de tangible à offrir.
Quells sont les leçons à apprendre de cette débandade?
Il ne faut jamais se fier à un contexte unique. Que le joueur soit productif ou catastrophique, c'est crucial de regarder des matchs ou il joue à l'inverse de ce qui est généralement observable? Il met 20 ppm à la fac? Regardez-le jouer 8e homme en sélection nationale. Il fait 10 pertes de balles par match? Observez son passing au lycée. Qu'est-ce qui lui permettait de réussir à l'époque? Était-il seulement plus grand et plus fort que tout le monde ou était-ce une question de personnel ? Par exemple, on critiquait beaucoup l'efficacité de LaMelo Ball lorsqu'il jouait avec des pompiers sans ligaments croisés en Australie. En NBA, les cibles de ses passes sont Miles Bridges, James Bouknight, Kai Jones et P.J Washington. Il est capable de faire confiance à ses gars sans prendre de tirs cons. La confiance emmène une maturité qui emmène un différent style de jeu. On ne voit pas ça sur la feuille de pointage, mais ça s'explique par le changement de contexte.
C'est une étape cruciale du scouting, parce qu'à part si vous êtes Anthony Davis ou Cade Cunningham, un joueur n'aura jamais le même contexte en NBA qu'au collégial. Certains ne s'en remettront jamais (i.e Jimmer Fredette), d'autres comme Quickley s'y prépareront très tôt. Ayez toujours la puce à l'oreille. N'ayez surtout jamais peur de vous tromper. Vous ne pouvez qu'avoir de belles surprises.