Comme me disait un ami actuaire (un homme qui travaille dans les assurances, au Quebec, ndlr) : «les stats c'est comme un maillot de bain. Ça donne des idées, mais ça cache l'essentiel». C'est vrai. C'est surtout vrai dans un contexte de scouting où les joueurs qu'on regarde sont au beau milieu d'une courbe de progression souvent importante. Au cours des prochaines semaines, je vous propose de démystifier la lecture de stats dans un contexte de scouting. Je ne verserai pas trop dans les stats avancées pour garder ça simple. Aujourd'hui on s'attaque au nerfs de la guerre pour les prospects de haut niveau : le shooting.

Au basketball comme dans tous les sports de haut niveau, l'analyse statistique occupe une place cruciale dans la prise de décision des équipes. Elle permet de mieux comprendre le contexte et l'évolution d'un joueur afin de prendre des décisions plus éclairées à propos de l'alignement ou même de la draft. C'est pourquoi toute équipe professionnelle qui se respecte (et NBA Draft Twitter) ont maintenant leur département statistique. Afin d'analyser quelles stats sont importantes, à quel point, comment les lire, j'utiliserai la fiche de Cade Cunningham à Oklahoma State comme référence, qu'on peut trouver sur votre prochain site de basket préféré, Sport-Reference

FG% (Field goal percentage - pourcentage de réussite total)

Le FG% c'est le pourcentage de tirs réussis au total vs le nombre de tirs tentés. Ça peut vous sembler la seule statistique dont vous avez vraiment besoin, mais ne tombez pas dans ce piège. Aucune stat n'offre un reflet de la réalité adéquant par elle-même. La première chose à faire lorsqu'on est confrontés à un FG% très haut ou très bas, c'est de regarder le nombre de matchs joués et le nombre de tentatives. Par exemple, Cade Cunningham tournait à 44% sur 27 matchs et 400 tentatives l'an dernier et fut drafté premier au total. Il y a deux ans, Aaaron Nesmith lui (drafté 14e par Boston) a fini l'année avec 51% sur 205 tentatives... sur 14 matchs. Moins concluant, mais quand même bien non?

C'est là qu'il faut regarder les matchs ! Les fans des Celtics vous le diront tous, Nesmith est un bon shooteur, mais il a eu la main extrêmement chaude pendant les 14 matchs de sa saison sophomore. Il est bon, mais pas SI bon shooteur que ça. Il manque constance et il a besoin de beaucoup de répétitions pour s'enclencher. En un peu plus d'une saison à Boston, il tourne à 41,4% au tir. Le nombre de matchs joués et le nombre de tentatives totales révèlent que Nesmith est streaky et son jeu nécessite une certaine monopolisation de l'attaque alors que Cunningham lui est mieux capable de distribuer la gonfle et faire sa part dans une attaque plus complète et balancée. Ne vous fiez jamais FG% seul, il s'agit de LA statistique la plus importante à questionner et mettre en contexte dans une optique de scouting.

2P% (Two point percentage - Pourcentage de réussite à deux points)

Le pourcentage de réussite à deux points est une statistique mal-aimée et souvent ignorée par les geeks de basket. Pourtant, son importance varie toujours selon le contexte et le joueur. Par exemple, il s'agit de la stat offensive la plus importante pour un joueur d'intérieur de type screen-and-roll car elle illustre largement son pourcentage de réussit au panier. Elle est indicatrice de maturité physique, de contrôle du corps dans l'espace et de dominance athlétique. Par exemple, l'an dernier Evan Mobley avait un 2P% de 61,5% à USC et cette année à Cleveland, il ne tourne qu'à 55,7% au moment d'écrire ces lignes. Est-il un finisseur moyen? Si vous regardez les matchs, vous savez la réponse. Il a déjà 122 tentatives en 12 matchs et bien qu'il se fasse brasser la gueule au cercle, il se débrouille quand même pas mal.

Si on revient à nos moutons et qu'on cesse de comparer des pommes avec des oranges, Cade Cunningham a shooté à 46% à deux points à Oklahoma State l'an dernier. C'est respectable, mais pas génial. Cependant, c'est contrebalancé par son tir à trois points à 41,5%. En tant que (seul) focus de l'attaque de son équipe l'an dernier, il s'est retrouvé dans plusieurs bouchons de circulation au cercle et il a quand même tiré son épingle du jeu. Cunningham est grand, fort et incroyablement stable à sa position. En contre-exemple, prenez le choix de premier tour des Knicks Quentin Grimes qui tournait à 41% à Houston l'an dernier. Son 2P% (178 tentatives pour 139 pour Cade) et son 3P% sont presque égaux, ce qui trahit une hyperspécialisation, un manque de toucher et une prise de décision quand même douteuse en tant que catalyseur de son équipe. Il tournait à deux passes décisives par match. Il avait de le difficulté à finir au cercle, de la difficulté à prendre des décisions rapides. Ça n'affectera pas sa carrière en NBA parce qu'il a été drafté dans un rôle de spécialiste 3-and-D, mais le décalage en qualité avec Cunningham est lisible déjà au 2P%.

3P% (Three points percentage - Pourcentage de réussite à trois points)

Le voici, le voilà, le Saint-Graal des pauvres d'esprits. Oui, le pourcentage de réussite à trois points est plus important aujourd'hui qui'il ne l'a jamais été. C'est même de plus en plus important que chaque joueur drafté l'ait dans son arsenal jusqu'à un certain point. On voit tranquillement disparaître dans le processus de sélection tout comme dans le processus de formation, les joueurs qui ne le shootent pas. Depuis la révolution small ball de Mike D'Antoni, les deux tirs avec le plus de valeur dans la ligue sont les dunks et les layups (plus haut pourcentage de finition) et les tirs à trois points (plus de points, donc possibilité d'avancer plus vite). C'est cependant important qu'un joueur d'élite balance et les deux et maîtrise les deux. Encore une fois, Cade Cunningham répond à l'appel. 46% à deux points sur 139 tentatives et 41% sur 80 tentatives. À chaque posession, il fait choisir son adversaire entre l'attaque au cercle et le shoot à trois points. Pick your poison. C'est pour ça que Cade est Cade.

Cependant, le pourcentage à trois points n'écume que la surface de la personnalité d'un shooter et pour mieux comprendre ce qu'on regarde, il n'y a pas le choix: vous devez regarder les matchs (je suis un grand fan de regarder des matchs de basket avant de m'ouvrir la gueule comme vous pouvez le constater). Est-ce que le joueur peut créer son tir à trois points en sortie de drible? Est-il un spécialiste du catch-and-shoot statique ou peut-il shooter en mouvement? Comprend-t-il comment shooter en sortie d'écran? Est-il capable de prendre un drible latéral pour déjouer son défenseur? (c'est quelque chose que je regarde beaucoup). Un joueur comme Klay Thompson par exemple, fait tout ça. C'est ce qui le rend extrêmement précieux même s'il ne manie pas vraiment le ballon. Cade lui, met la plupart de ses bombes en sortie de drible, ce qui est probablement le trois point le plus difficile, ce qui prouve encore une fois sa valeur.

FT% (Free Throw percentage - Pourcentage de réussite aux lancers francs)

Une autre stat qui représente quelque chose de plus profond qu'elle ne semble. Voyez-vous, lorsqu'on scout un joueur collégial, en G-League ou en Europe, il faut toujours garder en tête qu'un joueur est 1) en apprentissage 2) en changement de contexte continuel et 3) dans un processus de croissance physique semi-continuel. Il se peut qu'un joueur soit complètement nul dans toutes les statistiques mentionnées plus haut, mais qu'il devienne quand même un excellent shooteur en NBA. Comment on vérifie ça? Avec le pourcentage aux lancers francs. Il s'agit de l'unité de mesure la plus précise pour savoir si la mécanique de tir d'un joueur fonctionne. Le contexte de tir est toujours le même. Le joueur n'a personne dans le visage. Il n'est pas en mouvement. La seule variable qui compte c'est son niveau de concentration et sa confiance en sa mémoire musculaire. S'il a assez fait de répétition, ça va rentrer à un haut pourcentage. Par exemple, Cade Cunningham a fini sa carrière collégiale avec un FT% de 85%

OPINION TRÈS PERSONNELLE: j'ai tendance à être très positiviste sur le sujet. Parfois un peu même trop. Je vous explique ma philosophie : mathématiquement, le taux de réussite d'une activité à probabilité va toujours tourner autour de 50%. Bien sûr, on peut faire augmenter ces chiffres à l'aide de la biomécanique et de la discipline personnelle. J'ai cependant tendance à ne jamais perdre espoir tant que ce le pourcentage tourne au-dessus de 50%. Par exemple, l'an dernier Scottie Barnes shootait à 62% en gratuités et tout le monde questionnait son tir. Vu son profil unique, c'est quelque chose sur quoi il n'avait jamais vraiment eu à travailler mais le double changement de contexte en deux ans (collégial-pro) l'a emmené à faire beaucoup plus de répétitions et les résultats parlent d'eux-mêmes. Autre chosse à garder en tête: la fréquence des lancers francs à chque match. Un autre preuve de sa stabilité : Cunningham a obtenu son 85% aux lancers francs sur 5.8 tentatives par match. Pour vous donner un étalon de comparaison, le James Harden des bonnes années avait environ 10 LF par match. Alors 5.8 c'est ÉNORME comme échantillon. C'est 156 tirs sur 27 matchs.

TS% (True Shooting Percentage - Pourcentage au tir réel)

ATTENTION! CETTE STATISTIQUE PEUT ÊTRE FACILEMENT MAL INTERPRÉTÉE!

JE RÉPÈTE, VOUS POUVEZ AVOIR L'AIR CON EN PARLANT DE TRUE SHOOTING.

L'idée du TS% c'est de donner le contexte général le plus précis possible de l'efficacité d'un joueur au tir. Le problème, c'est que ce contexte est TRÈS SUSCEPTIBLE DE CHANGER lors du passage chez les pro, ce qui va révélé un TS% très différent de celui sur lequel vous vous êtes basés pour évaluer un joueur. C'est un calcul plus précis parce qu'il comprend les lancers francs ,le nombre de points et le nombre de tentatives, donc ça ne comprend pas seulement le pourcentage de réussite, mais la VALEUR de ces réussites. Par exemple, étant donné que les points ET les tentatives y sont comptabilisés, les tireurs à trois points efficaces sont légèrement avantagés. C'est plus moderne, c'est plus précis, mais c'est une stat également plus chatouilleuse. Cade Cunningham a fini l'université avec un TS& de 57,4%, mais de seulement 39,3% cette année. Dans un sens, ce n'est pas véritablement une surprise: le tir est complètement absent depuis le début de l'année. 28% au total et 22% à trois points. Dans son cas, ça va revenir.

Le true shooting peut être traitre parce que le nombre de points est calculé. L'usage qu'on fait d'un joueur est donc également très important. Par exemple, Jordan Nwora a fini sa carrière à Louisville avec un TS de 57% avec beaucoup de responsabilités sur le terrain alors qu'à Milwaukee depuis un peu plus d'un an, il tourne a 54% malgré qu'il soit beaucoup plus efficace car il est utilisé dans un rôle de spécialiste en sortie de banc. Moins de touches, donc moins de points. Un manque de certitude par rapport à ses touches qui affecte également son nombre de tentatives. Le 3-and-D est également un domaine ou on peut passer des matchs à shooter sans que rien ne rentre. Jordan Nwora est un joueur à plus haute valeur aujourd'hui qu'il ne l'était le jour de la draft, mais son true shooting est considérablement plus bas. Il n'a également joué que 42 matchs en tout et partout. ce qui affecte le rythme chez un shooteur spécialiste. Un bon true shooting est d'habitude un excellent signe, mais un TS% médiocre n'est pas nécessairement synonyme de désastre. Tout est une question de contexte avec les stats. Ne vous fiez jamais à une seule d'entre elles. Même lorsqu'on nous la vend comme la statistique ultime.

Retrouvez la seconde partie de cette analyse sur les statistiques ici