Depuis quelques années, le poste d’intérieur a pu connaître une dévalorisation quasi philosophique en NBA et surtout dans le cadre de la Draft. La prime aux intérieurs modernes, capables d’occuper plusieurs rôles en attaque et en défense, a participé à un sorte de déclassement de plusieurs archétypes, avec, pour les franchises, une certaine forme de frilosité à sélectionner haut des grands capables de peser positivement d’un seul côté du parquet. Jalen Duren sera le prochain "test" d'évaluation des front offices, l'intérieur de Memphis (NCAA) est une bête physique, comment on en a rarement vu à cet âge, cela suffit-il pour être appelé dans le top 5 de la draft ?

La capacité à trouver des rim-runners spécialistes plus bas dans la Draft (Robert Williams, Mitchell Robinson, Daniel Gafford, Jarred Vanderbilt, Xavier Tillman...) ou des vétérans capables d’assumer un rôle de rotation pour peu de ressources (Javale McGee, Dewayne Dedmon, Isaiah Hartenstein, Chris Boucher...) a pu pousser des Front Offices à ne pas cibler des intérieurs non-générationnels haut dans les cuvées. Il faut bien penser que l’allocation de ressources est clé dans la formation d’un effectif et les franchises calculent chaque investissement.

De plus, la difficulté pour les jeunes intérieurs à peser positivement durant leurs premières années NBA est une réalité qui doit être prise en compte. Les différents types de schémas défensifs utilisés, l’ultra ciblage des intérieurs par les porteurs de balles adverses, la nécessité d’un guard play de qualité (capacité de création des porteurs de balles) ou encore la prise rapide de fautes, tous ces aspects font qu’être sur le terrain est difficile pour les jeunes intérieurs, même pour les hauts draftés. On pourrait d’ailleurs stipuler que des joueurs comme Mo Bamba, Wendell Carter ou encore Jaxson Hayes n’ont pas pu rentabiliser leur contrat rookie et cela pas simplement par leur niveau de jeu sur leurs premières saisons professionnelles. Beaucoup de facteurs rentrent en jeu pour qu’un jeune intérieur non générationnel influence collectivement son équipe. Tout le monde n’est pas Evan Mobley.

Si je mets en place ces sombres passages théoriques ici, c’est que dans le cas d’un prospect comme Jalen Duren, je pense qu’il est intéressant de réfléchir sur toutes ces questions. L’intérieur des Memphis Tigers est très jeune (né en Novembre 2003) mais aussi ultra physique, musculairement mature et un athlète qui est déjà l’un des plus impressionnants sur un terrain NCAA. Quand Duren est sur l’écran, il saute aux yeux, on ne met pas 2 minutes avant de le remarquer. Finisseur puissant au cercle, protecteur de cercle de qualité, il est pressenti haut dans la Draft 2022 : on l’annonce parfois Top 5, juste derrière le trio Holmgren-Banchero-Smith. Comme l’équipe de Penny Hardaway sort de plusieurs matchs face à des facs du Power 6 (Virginia Tech, Iowa State, Ole Miss, Georgia, Alabama), on a pu voir une qualité d’adversité plutôt intéressante pour évaluer Duren. Que penser de la valeur de l’intérieur de Memphis après son début d’année ?

Duren : un monstre maître dans la peinture 

Commençons par le côté que je valorise le plus chez les intérieurs : la défense. À tous les étages où j’ai pu observer Jalen Duren (FIBA, EYBL/AAU, lycée avec Montverde et désormais NCAA), il a toujours ultra dominé physiquement et profitait d’un avantage de puissance sur ses adversaires. C’est parfois sous-estimé dans le processus Draft, mais l’argument de la force est essentiel chez un prospect : la NBA est une ligue d’ovnis physiques et il faut être puissant pour être légitime sur un parquet NBA. De ce côté là, Jalen Duren est déjà prêt pour les joutes NBA. Selon les informations du Combine de Memphis d’avant-saison, Duren était mesuré à 2m11, 113kg et possédait une envergure supérieure à 2m26. Ses bras sont immenses et longs, ses mains sont aussi impressionnantes. Être plus physique et mature musculairement a permis à Duren de peser défensivement tout en n’étant pas le meilleur dans l’appréhension collective, simplement par ses aptitudes physiques. On le voit ci-dessous lors du FIBA U16 America, en Juin 2019.

Fourth Preseason Thread: Jalen Duren

Strength 1:
Duren's calling card in the next levels will be his defense, specifically his elite rim protection. He has shown the ability to block or alter shots at the rim and really makes his presence felt as a rim protector. pic.twitter.com/ecLhFeBpMR

— David Sajdak (@davidsajdak8) October 15, 2021

Autre aspect de son profil défensif : la protection de cercle et la dissuasion. Tous les intérieurs qui jouent aujourd’hui en NBA doivent protéger le cercle, sous peine d’un rôle tertiaire d’intérieur offensif en sortie de banc. Duren a toujours été un excellent protecteur de cercle et cela même quand il jouait avec un autre intérieur. L’été passé, il était associé à Dereck Lively II au sein de Team Final lors de la saison EYBL ; Lively est aussi un grand protecteur de cercle et on a vu Duren capable de peser sur 2ème rideau, sur les lignes de passes ou dans des alignements avec un autre intérieur. Cette versatilité est importante, car Duren sera le seul non-shooter de ses lineups dans ses premières saisons NBA, mais il peut fonctionner aux côtés d’un strech 5. On doit tout de même noter des qualités de déplacement latéral moyennes et une fluidité des mouvements pas toujours optimale, ce qui posera question sur son utilisation schématique en NBA. Cette année à Memphis, Duren est quasiment à 13% de contres, 21% de rebonds défensifs et 29 fautes en 243mins de jeu. Pour un intérieur qui vient d’avoir 18 ans ce sont de statistiques de haute voltige et Duren arrive déjà à rester sur un terrain sur de longues séquences.

Chaque match, Jalen Duren effectue des actions défensives qui attirent l'oeil. La protection de cercle est très bonne, que ce soit sur 1er/2ème rideau (quasiment 15% de BLKS), mais il est aussi capable de peser aux rebonds. Sa force est sa qualité principale, surtout à son âge. pic.twitter.com/IFD2gfsdOP

— Guillou Alan (@Alan_Guillou96) November 29, 2021

Offensivement, et c’est là où les questionnements autours de son profil peuvent émaner, Jalen Duren ne fait rien d’exceptionnel. Très bon finisseur au cercle (39/47 sur l’année NCAA pour le moment, soit 83%), il profite de sa longueur et sa puissance pour finir avec férocité. C’est à peu près tout pour le moment. Duren est à 4/16 sur les 2pts en dehors de la zone rapprochée du panier, il shoote à 59% aux lancers-francs (sur 37 tentatives) et ne prend pas de tirs à 3pts. On peut utiliser l’argument de la jeunesse ou de l'utilisation, mais des intérieurs comme Evan Mobley, Bam Adebayo (pas à Kentucky mais au lycée), DeAndre Ayton ou Karl-Anthony Towns avaient montré, déjà très jeunes, une palette offensive plus diversifiée. Pour le moment, Duren ne marque qu’en finissant les actions proche du cercle. C’est un fait, mais çà ne signifie pas qu’il ne pourra pas faire autre chose en NBA.

Every shot, assist, rebound, steal, block, & turnover from @Memphis_MBB center Jalen Duren's 12-10-21 game against Murray St https://t.co/A55OJ84VMl

Duren's a theoretical shooter at this point. Looks smooth & replicable, but is very inconsistent. Here's a make tho. #2022NBADraft pic.twitter.com/ZczffIu4UT

— The Scouting Rapport (@ScoutingRapport) December 11, 2021

Ce qui me fait saliver dans son profil et qui fait, soyons honnêtes, que je ne peux pas le descendre trop dans cette cuvée, ce sont les flashs à la passe. Si Duren ne tire pas et ne peut pas menacer offensivement en dehors du cercle, il faut apporter une plus-value supplémentaire dans son arsenal offensif. La qualité de passe pourrait être cela. On le voit être capable de prendre des décisions sur short-roll, d’effectuer des renversements dans les coins pour les shooters, où même de partir en dribble sur situations de Dribble Hand-Off (DHO). Cela lui permet de ne pas être simplement ce finisseur offensif, un rôle qui n’est plus apprécié haut dans une Draft. De plus, je vois chez lui la volonté de tenter des passes délicates, avec un joueur qui n’est pas simplement dans l’exécution d’un système ou d’une lecture : Duren prend des risques sur certaines situations, ce que j’apprécie chez un prospect intérieur de son âge.

What makes Jalen Duren different than most run-and-jump bigs? His passing. Did a great job taking advantage of 4-on-3 situations w/ Alabama hard hedging all night. Comfortable in DHOs also. Important in addition to his finishing/rim protection. Non-passing bigs are a dying breed. pic.twitter.com/JntvljKc3O

— Mike Schmitz (@Mike_Schmitz) December 15, 2021

Où doit-on sélectionner Jalen Duren dans cette cuvée 2022 ? Cette question est intéressante, car Duren était présenté un peu partout comme un prospect destiné au Top 5 avant la saison NCAA. Il sortait d’un été dominant en EYBL et son profil athlétique faisait saliver. Honnêtement, rien que par son profil physique et son potentiel défensif, Duren pourrait prétendre à une sélection en lottery. Si on ajoute à cela le facteur X de la création pour autrui, on peut légitimement penser à lui dans la deuxième partie de cette lottery. Difficile pour le moment de le voir plus haut personnellement, tout le monde ne peut pas être Evan Mobley, et c’est même rassurant.