Grâce à notre sagacité et à NBA France - qu'on remercie chaudement - nous avons pu participer à plusieurs interviews de prospects dans le cadre du NBA Combine. Ils attendus en grande majorité au premier tour lors de la draft 2020, et en slalomant entre les réponses préconçues, nous avons été capables de tirer quelques enseignements, pour nous, un peu, pour vous, surtout.

 

1 / Deux stratégies différentes chez les prospects

"Le monde se divise en deux catégories, ceux qui passent par la porte, et ceux qui passent par la fenêtre", disait Tuco, le truand, à Blondin, le Bon, quelques minutes avant la punchline concluant une des scènes les plus épiques du cinéma. Chez les prospects aussi, certains passent par la porte, d'autres moins. Au cours des interviews nous nous attendions, à tort, à nous retrouver face à des prospects sortant de confinement et donc ayant été interviewé par l'ensemble des franchises, mais ce n'est pas le cas de tout le monde. Certains, effectivement, "passent par la porte" et ont opté pour la stratégie logique : on ratisse large. Tyrell Terry, Killian Hayes, Desmond Bane, à un moindre degré Precious Achiuwa et Isaiah Joe, on tous affirmé avoir quasiment fait le tour des franchises lors des interviews pré-draft, ces entretiens qui servent généralement à évaluer la personne psychologiquement mais aussi à connaître son background, sa motivation. Killian Tillie, lors d'une interview qu'il nous avait accordée il y a quelques semaines, avait également choisi cette stratégie. En clair, ces joueurs là n'ont pas ou peu d'informations sur leur "range", l'endroit où ils seront draftés : ils préfèrent donc se "couvrir", à l'instar de Desmond Bane, qui sans complexe a donné le chiffre : 26 interviews effectuées à ce jour, sachant que 29 équipes possèdent un choix de draft (Houston n'en a pas).

La deuxième catégorie, "ceux qui passent par la fenêtre", sont les prospects dont les agents ont élaboré une stratégie : cibler les interviews avec les franchises susceptibles de drafter le joueur. Passer plusieurs dizaines de minutes en "entretien d'embauche" avec coach, GM, et autres membres du staff est évidemment éreintant pour le mental d'un joueur, d'autant que les franchises, on le sait, discutent entre elles. Moins exposer un joueur, c'est à la fois réduire la possibilité d'erreurs, mais aussi un moyen pour certains de créer de l'attention. Tyrese Haliburton a choisi cette voie, avec seulement - selon ses dires - trois interviews : Knicks, Pistons, Warriors (article à venir). Théo Maledon, notre français encore assez tiimde et réservé face à la presse, a lui choisi la même stratégie avec un spectre un peu plus large (10 interviews), preuve que sa cote est un peu plus basse que celle de prince Hali. Tre Jones, lui aussi, n'a accepté des interviews que de quelques équipes, parmi lesquelles les Bucks, les Wolves (il est du Minnesota) et les Suns. Il a confirmé que c'était une "stratégie" de son agent : "il ne veut des interviews qu'avec des équipes vraiment intéressées". Enfin, il y a ceux qui mentent, comme Deni "je n'ai eu de contact avec personne" Avdija et ceux qui ont peur de dire la vérité et boudent l'interview prévue : Isaac Okoro (ça sent la promesse, on dit ça comme ça).

 

2/ Modifier sa gestuelle de tir, c'est vraiment 2019

Parmi les interviewés, plusieurs ont été identifiés comme des shooteurs corrects au niveau des chiffres, mais avec une mécanique douteuse pour le niveau supérieur. En tant que maniaques de la gestuelle, nous avons posé la question à plusieurs d'entre eux. D'abord, lundi, via nos amis de QI Basket, LaMelo Ball a répondu "j'ai foi en mon tir, je ne compte pas changer la mécanique" : une réponse qui a immédiatement interloqué un des journalistes draft les plus vivaces sur lérézo, j'ai nommé KoC. Kevin O'Connor a trouvé cette déclaration "concerning", c'est-à-dire "inquiétante". Son tir est extrêmement fluide, mais le coude droit n'est pas au bon endroit, la balle part de la hanche droite pour terminer quasiment à gauche. Ce n'est pas incompatible avec une réussite NBA, mais retravailler la gestuelle pourrait lui permettre de shooter plus efficacement en sortie de dribble. LaMelo Ball a shooté à 25% à trois points en NBL et 72% aux lancers-francs.

Même problématique ou presque, même réponse de la part de Tyrese Haliburton. Son shoot part de très bas et il a du mal à enclencher un tir en sortie de dribble, par exemple lorsque la défense ne le respecte pas et passe sous l'écran. Ici, chez Envergure, on pense que cela peut limiter son potentiel en tant que porteur de balle, pourtant un de ses points forts. Le joueur, très sympathique au demeurant, n'a pas l'air d'accord et a rétorqué : "les questions (sur sa mécanique) sont surfaites, j'ai toujours très bien shooté, j'ai du 'range', les vidéos et les chiffres ne mentent pas". Le sophomore s'appuie sur son 43% de réussite en carrière et 77% aux lancers-francs. Mais la NBA, ce n'est généralement pas la même musique et rares (inexistants) sont les shooteurs à haut volume et haute efficacité ayant cette gestuelle. Comme tout têtu qui se respecte, Hali Catapulte a récemment joint les actes à la parole avec une vidéo où on le voit faire filoche sans opposition, avec un tir qu'on nomera "mécanique" et non pas "gestuelle", comme quoi les nuances de la langue française... En voilà un qu'on enverrait bien faire un stage "shoot depuis une cabine téléphonique" (cf. épisode spécial shooteurs).

Attention, cela ne veut pas dire qu'il ne réussira pas en NBA, d'autant qu'on a pu le voir fluide sur certains rares pull up jumpers cette saison, mais il pourrait avoir plus de mal, tout comme Tre Jones, qui lui aussi ne changera pas sa mécanique. "Je me sens à l'aise avec celle-ci et mes progrès entre l'année freshman et sophomore sont la preuve de mes progrès, nous a-t-il répondu en exhibant un nouveau style capillaire coincé entre Prince et Michael Jackson (période Jackson 5) : comment le blâmer, il est si difficile de choisir. (Note : Tre Jones est passé de 26 à 36% à trois points lors de sa 2e année sur campus, avec plus de tentatives). On pensait donc tenir une tendance de fond dans la cuvée 2020, avec des tirs laids mais efficaces. Malheureusement RJ Hampton est venu gâcher ce tableau en affirmant qu'il travaillait le shoot avec ce diable de Mike Miller (et Penny Hardaway). Préférer la lucidité à l'entêtement, c'est parfois gagner quelques places chez des analystes réputés pour leur lucidité. Ainsi Sam Vecenie (The Athletic) a remonté Hampton de la 21e à la 7e place de son big board. Lorsqu'on shoote à 29,6% en "attraper tirer" et à 21% en sortie de dribble, changer de tir peut être une bonne idée. Changer sa mécanique chaque année (cf. Jarrett Culver) n'est pas forcément non plus un gage de qualité, mais pour un athlète supersonique comme Hampton, cela pourrait tout débloquer.

 

3/ Vous connaissez la langue de bois ?

Le media training, étouffeur d'émotion, kidnappeur d'opinions, voleur de vérité. Les jeunes personnes que nous avons interviewé en compagnie de journalistes NBA plus ou moins chevronnés étaient âgés de 18 à 23 ans. Tous ont fait un sans faute politique, ou presque, ce qui est à la fois remarquable et triste à mourir. Devant un processus de draft plus que jamais basé sur l'apparence, avec des interviews en visio par dizaines, nos prospects se sont encore plus "professionnalisés", ils ont donc répondu ce qu'ils voulaient aux questions sans vraiment se soucier d'autre chose que du message à faire passer. Évidemment entre un Tyrell Terry extrêmement prolixe et un Precious Achiuwa plutôt sur la défensive, la forme n'est pas la même. Mais sur le fond, nous n'avons appris que ce qu'ils voulaient bien nous apprendre, on peut le comprendre vu l'enjeu pour eux (devenir millionnaire, doit-on le rappeler), mais le regretter aussi, vu l'intérêt potentiel de ces interviews. Avec des vrais entretiens, un profil psychologique est plus facile à établir, on peut donc réunir des indices pour distinguer celui qui a le cerveau sur le mode réussite de l'autre qui est en mode "lavage à 30°". Seule personnalité un peu en dehors des clous, LaMelo Ball a visiblement régalé (nous n'étions pas présents pour l'interview) par des déclarations pleines de confiance en soi. Ouf, la BBB vit encore.

Néanmoins, on peut donc vous décoder, tenter disons, quelques messages. Precious Achiuwa, par des réponses courtes et peu développées, a voulu nous faire croire qu'il était le futur Bam Adebayo. Tre Jones a beaucoup utilisé le mot "leader". Tyrese Haliburton a insisté sur l'impact positif de son été 2019 (championnat du monde U19 avec Team USA), Tyrell Terry s'est appliqué pour qu'on remarque son intelligence et aime mettre en avant son "QI basket", Desmond Bane le fait qu'il est mature, Théo Maledon qu'il est un discret travailleur. La palme d'or de la déclaration revient sans conteste à Deni Avdija, qui a affirmé en toute décontraction qu'il n'avait eu aucun contact avec aucune équipe NBA. Selon nos informations (d'une fiabilité extrêmement confortable), il ment. Le sémillant Alan Guillou a retenu de l'entretien avec l'Israélien un anglais presque immaculé, assez impressionnant, presque autant que ses triceps (travaillés visiblement autant pendant le confinement que par l'angle de caméra). Néanmoins, la façade affichée par les prospects a eu un avantage : tous sont apparus sous leur jour le plus sympathique, rendant les échanges agréables, sans aggressivité et rejet de certaines questions ("oh vous, les journalistes"), ce qu'on peut voir arriver chez les pros.

Des sourires, poser des questions à des futures stars en direct, même si on n'a pas appris ENOOOOORMÉMENT de choses, c'était quand même superbe.